• La transhumance militaire

    Après avoir passé dix-sept années au Palais rose, Idriss Déby Itno a battu tous les records de longévité d’un chef d’État tchadien. Longévité a beau rimer avec stabilité, le long magistère de l’homme fort de N’Djamena n’a jamais été de tout repos. Rébellions à répétition dans le Tibesti, factions politico-militaires installées dans les capitales voisines, désertions et félonies d’officiers supérieurs, ralliements et trahisons ont régulièrement émaillé son « règne ». Une précision s’impose, cependant : l’instabilité n’a pas épargné les prédécesseurs d’Idriss Déby Itno. De François Tombalbaye à Hissein Habré en passant par le général putschiste Félix Malloum ou encore le guérillero Goukouni Weddeye, aucun chef n’a pu exercer sa mission sereinement. Quelle est donc cette malédiction qui vaut au Tchad cette éternelle instabilité ?     
    Mosaïque ethnique, le pays est divisé entre un Nord musulman et un Sud animiste. Au lendemain de l’indépendance, en 1960, le pouvoir revient à la majorité sudiste, qui le confie à François Tombalbaye. L’euphorie de la souveraineté masque alors les clivages ethniques, régionaux et religieux. C’est l’ère des coups d’État militaire et, au Tchad comme ailleurs, le pouvoir civil se méfie comme d’une guigne de l’armée. François Tombalbaye en confie le commandement à un membre de son ethnie. Pas question qu’un Tchadien originaire du Borkou, de l’Ennedi ou du Tibesti (les trois grandes régions du Nord) accède à une haute fonction au sein de l’état-major. Promotions et grades supérieurs sont distribués en fonction de l’état civil et non sur des critères de compétence.  

       

    Quand, en 1975, cette armée renverse Tombalbaye, le colonel putschiste Félix Malloum prend conscience du déséquilibre ethnique dans la grande muette. Pour former le Comité de salut militaire (CSM) devant constituer l’instance suprême du pouvoir, il ne trouve aucun officier supérieur pouvant représenter les régions et ethnies septentrionales. Il doit promouvoir deux sous-officiers au grade de lieutenant pour les inclure au CSM. Mais il ne fait rien pour corriger le mode de fonctionnement tribal de l’armée. Quand plus tard les rébellions nordistes prendront successivement le contrôle de N’Djamena, elles reproduiront le même système, le commandement de la troupe revenant systématiquement aux hommes de confiance du nouveau chef de l’État.

    C’est pourquoi l’armée tchadienne n’a jamais pleinement rempli sa mission, à savoir la défense du pays. Plus grave : elle n’a servi le pouvoir en place que lorsque ce dernier payait ses services rubis sur l’ongle. Ce mode de fonctionnement a eu des conséquences terribles. La frontière entre forces loyalistes et rebelles est ténue, et si ailleurs en Afrique le concept de transhumance politique s’est développé, les Tchadiens ont inventé la transhumance militaire. C’est ainsi que des chefs d’état-major sont devenus, du jour au lendemain, des chefs de rébellion, que des ministres de <ST1:PERSONNAME productid="la D←fense" w:st="on">la Défense</ST1:PERSONNAME> ont rompu avec le pouvoir pour créer leur propre faction. L’absence d’armée républicaine coûte encore aujourd’hui extrêmement cher au pays. Et c’est toujours la population qui en paie l’addition.


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