Le Pilatus, ce discret avion "civil" suisse qui bombarde les rebelles tchadiens |
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| Le Pilatus PC-9 a-t-il été utilisé par N'Djamena pour bombarder les positions des rebelles tchadiens ? Une polémique se développe en Suisse autour de ce petit avion biplace vendu en juillet 2006 au Tchad par l'entreprise helvétique Pilatus, basée à Stans (canton de Nidwald). Le Conseil fédéral (gouvernement) avait alors donné son feu vert, après que les autorités tchadiennes s'étaient engagées à n'utiliser l'appareil que pour des exercices d'entraînement. Vux pieux qui se sont apparemment envolés... |
Vendredi 8 février, "10 vor 10", une émission de la télévision suisse alémanique, a ainsi montré deux photos prises, fin janvier, au Tchad. Sur la première, le petit appareil, prêt à décoller, est équipé de deux bombes à fragmentation. Sur la seconde, le même avion, de retour de mission, s'est délesté de son chargement. Mi-janvier, des clichés d'un "vieux" Pilatus PC-7 - livré au Tchad il y a quinze ans par la France -, équipé de deux canons automatiques, étaient déjà tombés entre les mains de "10 vor 10".
Une semaine auparavant, l'AFP, citant des sources militaires, avait fait état de bombardements sur des positions de rebelles tchadiens, dans laquelle l'appareil suisse avait été engagé, provoquant la mort de trois civils.
La commission de politique extérieure du Conseil national (Parlement) a pourtant refusé, mardi 12 février - par 15 voix contre 10 - de considérer les Pilatus comme du matériel de guerre, rejetant une motion déposée par des députés de gauche.
Depuis 1996, l'appareil est soumis à la loi sur le contrôle des biens à double usage (civil et militaire). Son exportation est autorisée partout, sauf dans des pays mis sous embargo par l'UE ou l'ONU. La veille, Doris Leuthard, ministre suisse de l'économie, avait expliqué que même "les lois les plus sévères ne peuvent empêcher un abus", avant d'ajouter que "seul un abandon complet des ventes d'avions à l'étranger permettrait de l'éviter" et qu'"une telle décision mettrait en péril des postes de travail en Suisse".
Reste que l'"autre Suisse", celle qui est dépositaire des Conventions de Genève sur la protection des civils et engagée dans l'aide humanitaire et au développement, est mal à l'aise. A Berne, on assure que l'affaire sera tirée au clair. Le secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) enquête et doit rendre ses conclusions d'ici au mois d'avril.
Mais depuis longtemps, tout spécialiste sait que le Pilatus est l'un des avions civils les plus faciles à transformer en machine de guerre. Des cas ont été signalés en Birmanie, en Irak, au Chili, en Angola. Selon le Groupe d'une Suisse sans armée (GSSA), l'appareil PC-9 aurait été utilisé dans des bombardements près de Hadjer Marfaïne, dans l'est du Tchad, deux mois après sa livraison. Une situation que Caroline Morel, de l'ONG Swissaid, juge incohérente : "Nous accordons une aide humanitaire au Tchad et au Darfour, et en même temps des avions suisses sont utilisés pour des attaques aériennes qui touchent des civils, ce qui réduit fortement les efforts de développement." Contactée, la société Pilatus, elle, n'a pas souhaité s'exprimer.
Agathe Duparc Article paru dans l'édition du 15.02.08. |