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Un juge belge pour le Tchadien Hissène Habré?
JUSTICE INTERNATIONALE Le président sénégalais hésite à extrader l'ex dictateur tchadien vers la Belgique. Il a demandé conseil à ses homologues africains, qui se réuniront lundi à Khartoum.
<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>Un juge belge pour le Tchadien Hissène Habré?
Interview de<o:p></o:p>
Michelot Yogogombaye, Président du RDPL et Reed Brody, ONG Human Rights Watch<o:p></o:p>
PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE, Quotidien : Le Courrier, Genève, le Vendredi, 20 janvier 2007<o:p></o:p>
Augusto Pinochet a découvert l'existence de la «compétence universelle» lorsque des policiers ont fait irruption dans sa clinique de Londres. Oui: chaque Etat pouvait engager des poursuites pour graves violations des droits humains, indépendamment du lieu des crimes et de la nationalité des auteurs. D'où le mandat d'arrêt espagnol. Finalement, Pinochet a pu rentrer au Chili et il n'aura pas été le premier ancien chef d'Etat à être extradé. Est-ce que se sera Hisseine Habré? La Belgique veut juger l'ex-dictateur tchadien, accusé de 40 000 assassinats politiques. Mais le Sénégal rechigne à l'extrader.<o:p></o:p>Dans son pays d'accueil, Habré dispose de puissants appuis et ses défenseurs jouent sur la corde de la souveraineté africaine. La Belgique, ancienne puissance coloniale, n'aurait pas de leçons à donner. Embarrassé, le président sénégalais a transmis le dossier à ses homologues africains, qui ont rendez-vous ce lundi à Khartoum.<o:p></o:p>
Faut-il juger Hissène Habré en Belgique? Débat entre Reed Brody, qui traque les dictateurs pour le compte de l'ONG Human Rights Watch, et Michelot Yogogombaye. Aujourd'hui réfugié à Bienne, il a été secrétaire général adjoint du gouvernement Habré juste avant sa chute. Auparavant, il était passé par les geôles de la police politique tchadienne. Depuis son exil en Suisse, M. Yogogombaye anime le Rassemblement démocratique pour la paix et la liberté au Tchad (RDPL), un parti d'opposition.
Le Courrier: Selon vous, que va décider l'Union africaine (UA)? <o:p></o:p>Reed Brody: A Khartoum, les chefs d'Etat africains devront choisir entre l'impunité et la justice. Si Hissène Habré doit répondre de ses crimes devant un tribunal, ce sera un précédent pour tout le continent. Cette perspective est loin d'enchanter tous les présidents africains, à commencer par l'organisateur du sommet, le président soudanais Omar El-Béchir. Son cas devrait être examiné par la Cour pénale internationale pour les exactions commises au Darfour. L'UA instaurera sans doute un groupe d'experts chargés d'examiner quelle juridiction est la mieux à même de juger l'ex-dictateur tchadien. Ceci dit, l'arbitrage de l'UA ne libérera pas le président Wade de ses obligations internationales. Le Sénégal héberge un présumé tortionnaire. Il est tenu de l'extrader, à moins qu'il se décide enfin à le juger. <o:p></o:p>
Michelot Yogogombaye: Le RDPL et moi-même avons adressé une lettre au président de l'UA lui demandant de ne pas jeter la mémoire collective du peuple tchadien en pâture à la presse occidentale. Je pense que nous avons été entendus et que Hissène Habré ne sera pas extradé vers la Belgique. Il ne s'agirait nullement d'un déni de justice. Cela signifiera simplement que le temps est venu pour l'Afrique de régler elle-même ses problèmes. Selon ses propres valeurs comme la palabre et la juridiction par la parole. Pourquoi leur préférer un juridisme greffé de l'Occident colonial et colonisant? <o:p></o:p>
Le Courrier : Où devrait être jugé Hissène Habré?
Michelot Yogogombaye: Au Tchad, là où ont été commis les crimes dont il est accusé. Mettre face à face les bourreaux et les victimes est légitime. La France a jugé Maurice Papon en France. Le procès de Nuremberg s'est tenu dans la ville où s'était forgée l'idéologie nazie. Combien de victimes ou de témoins pourront faire le déplacement à Bruxelles pour assister au procès si jamais il a lieu en Belgique? Un jugement au Tchad est tout à fait réalisable. A nous de relever le défi avec l'aide de l'Afrique et de la communauté internationale. <o:p></o:p>Reed Brody: L'extradition en Belgique est l'option la plus immédiate et la plus réaliste. Nous aurions tous souhaité que Habré puisse être jugé en Afrique. Mais le Sénégal a refusé de le faire et, en quinze ans, aucun autre pays du continent n'a réclamé son extradition. Un tribunal spécial africain? L'idée est très séduisante. Mais, selon nos estimations, la mise sur pied d'une telle instance coûterait au moins 100 millions de dollars et nécessiterait encore plusieurs années. Or, le temps presse. Déjà deux plaignants tchadiens, rescapés des geôles de Habré, sont décédés.
Les conditions sont-elles réunies pour la tenue d'un procès équitable au Tchad même?<o:p></o:p>Reed Brody: Le Tchad n'a pas demandé l'extradition, il s'est par contre déclaré favorable à un procès en Belgique. Si Habré devait revenir au Tchad, on ne peut exclure qu'il soit torturé ou assassiné. Son retour risquerait de déstabiliser le pays, alors que la situation est déjà très fragile. <o:p></o:p>
Michelot Yogogombaye: Pourquoi pas? Il y a aujourd'hui au Tchad une autorité établie à ce qu'on nous dit. Le président a juré de garantir l'efficience et l'indépendance de la justice. Il faut le prendre au mot. <o:p></o:p>
Le Courrier : Ne faudrait-il pas aussi jugerl'actuel président Idriss Déby?<o:p></o:p>
Michelot Yogogombaye: C'est inévitable quand on sait qu'Idriss Déby fut le commandant en chef des forces armées pour la région Nord puis le conseiller de Hissène Habré en matière de sécurité et membre du bureau exécutif du parti unique de l'époque, avant de destituer son mentor en 1990. En réalité, Déby et ses acolytes ont commis des crimes pires que ceux de Habré. Si le président tchadien préfère aujourd'hui que son prédécesseur soit extradé en Belgique, c'est qu'un procès au Tchad se retournerait contre lui. Car, au Tchad, on torture et on tue comme à l'époque de Habré, mais on n'a même pas l'excuse d'être en guerre. N'attendons pas que Déby soit déposé pour s'insurger contre son régime! <o:p></o:p>
Reed Brody: Sans nier la part de responsabilité d'Idriss Déby, c'est Habré qui a créé la police politique la DDS et qui l'a mise sous sa supervision directe. Les archives de la DDS découvertes à N'Djamena ont révélé que Habré dirigeait personnellement la répression contre le peuple tchadien. Human Rights Watch dénonce vigoureusement les cas de torture, les exécutions ou les violations des droits économiques perpétrés par le régime d'Idriss Déby. Mais aujourd'hui, au Tchad, il y a une presse plus ou moins libre et une société civile très active. On ne pouvait pas en dire autant du temps de Habré. <o:p></o:p>
Le Courrier : On accuse la loi «de compétence universelle» belge, en vertu de laquelle Bruxelles réclamel'extradition de Habré, d'être très sélective car elle ne vise que des dirigeants du tiers monde.<o:p></o:p>
Michelot Yogogombaye: Je ne comprend pas pourquoi la Belgique ne daigne pas appliquer cette loi contre messieurs Botha, Duvalier ou Pinochet. Pourquoi la justice belge a-t-elle refusé d'inculper Ariel Sharon? Sont-ils tous moins coupables que Hissène Habré? Ou cette loi de compétence universelle n'est rien d'autre qu'un «Code noir» bis (lois réglant la traite des esclaves dans les colonies françaises, nldr). <o:p></o:p>
Reed Brody: Il y a beaucoup de désinformation autour de cette loi. Lorsqu'elle a été amendée, presque toutes les plaintes déposées en Belgique sont passées à la trappe, qu'elles concernent des dirigeants du Sud ou occidentaux. Beaucoup d'entre elles ont été classées parce qu'elles visaient des responsables politiques en exercice. Le Tchad, lui, a levé l'immunité de Hissène Habré. De plus, l'instruction était déjà bien avancée lorsque la loi a été amendée, et des plaignants avaient la nationalité belge. Le passé colonial de la Belgique est incontestable. Mais, aujourd'hui, ce pays offre la possibilité d'un procès équitable pour les victimes de Hissène Habré. <o:p></o:p>
Source: Cet article provient de: Le Courrier http://www.lecourrier.ch/ <o:p></o:p>
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