• EUfor associée au processus de liquidation des opposants tchadiens.

     L'intégralité du débat avec Pour Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS, l'intervention de la France à N'Djamena s'inscrit "dans la continuité de la politique de soutien au président Déby menée depuis 1990".

    Les 2 et 3 février, "la chaîne de commandement allait directement de Nicolas Sarkozy aux responsables militaires français sur le terrain", affirme-t-il. Il estime que ce soutien au régime tchadien aura un "coût politique préoccupant" en Europe.



      
    LSO : Comment savez-vous que le président Sarkozy a engagé des militaires appartenant au commandement des opérations spéciales (COS) le 2 février ? La France dément.

    Jean-François Bayart : Il y a d'une part des journalistes sérieux, du journal La Croix en l'occurrence, qui ont publié ces informations dans l'édition du 8 février, les ont largement confirmées le 11 février et par ailleurs, je dispose de sources propres venant de N'Djamena.


    Garfunk : Nicolas Sarkozy avait promis la rupture avec les pratiques des précédents présidents de la République dans le domaine africain. Or, à la première occasion, il semble montrer qu'il n'en fait rien...


    Jean-François Bayart : Oui, ce n'est pas franchement étonnant. Nicolas Sarkozy, avant et pendant la campagne, avait promis cette rupture. Le soir de son élection, il a eu des propos très encourageants à ce sujet en se posant comme héraut de la cause des droits de l'homme et de la démocratie dans le monde.

    Malheureusement, son discours à l'université de Dakar au mois de juillet a ! très rapidement montré qu'il se faisait une idée archaïque, et même rétrograde, des sociétés politiques africaines. Sa visite à Moscou a montré qu'il était impuissant sur la question tchétchène, et prêt à mettre beaucoup de ses principes sous le mouchoir de la Realpolitik. Sa visite en Chine a été encore plus éloquente sur ce plan. Et s'il avait encore fallu des preuves, l'accueil qu'il a réservé à Kadhafi en décembre a été parfaitement illustratif.

    De ce point de vue, les choix qu'il a faits à N'Djamena s'inscrivent malheureusement dans la continuité de la politique de soutien au président Déby menée depuis 1990 par les gouvernements successifs.


    Aladin : Selon vous, quand l'intervention "directe" française a-t-elle été décidée et à quel niveau ?


    Jean-François Bayart : La date exacte, je n'en sais rien. Il est clair qu'au moins un officier français a assuré la coordination des forces armées du président Déby l! e 1er février, à 50 km au nord-est de N'Djamena, à Massaguet et à l'initiative, très vraisemblablement, du président Sarkozy, ou en tout cas de son état-major particulier.

    Les 2 et 3 février, le soutien français sur le terrain s'est avéré plus consistant, et la chaîne de commandement allait directement de Nicolas Sarkozy et de son état-major particulier aux responsables militaires français sur le terrain, le ministère des affaires étrangères semblant avoir été très largement court-circuité. Le président Sarkozy et le président Déby ont eu des contacts directs, notamment pendant le week-end des 2 et 3 février.


    Bardi : Quelle serait la position de la France si l'on apprenait qu'au Tchad des opposants démocrates avaient été assassinés par les hommes du président Déby ?


    Jean-François Bayart : C'est une question qu'il faut poser à MM. Kouchner et Sarkozy. Bien entendu, les autorités françaises, et notamment M. ! Kouchner, se sont enquis du sort des opposants démocrates dès que la nouvelle de leur arrestation a filtré. Le ministre de la défense nationale, M. Morin, semblait plus philosophe sur ce plan.

    J'ignore si M. Sarkozy a lui-même donné de la voix, mais l'essentiel est ailleurs : l'arrestation, voire la liquidation, de ces opposants démocrates sous le prétexte de leur collusion éventuelle avec la rébellion était prévisible, compte tenu des murs politiques de M. Déby, avérées depuis 1990, et compte tenu également du précédent rwandais en octobre 1990, lorsque le président Habyarimana avait utilisé l'agression du Front patriotique rwandais à partir de l'Ouganda pour s'en prendre à son opposition démocrate, et avait même simulé une attaque de Kigali pour procéder à des arrestations.


    Il était clair, donc, que la France devait obtenir ex ante des garanties quant à la sécurité de l'opposition démocrate, avant de fournir son soutien militaire au président Déb! y. J'espère simplement que la France ne prendra pas pour argent comptant les inévitables affirmations de M. Déby selon lesquelles les dirigeants arrêtés, et pour certains d'entre eux peut-être liquidés, avaient noué des contacts avec la rébellion. Explication qui semble inévitable, puisque les rebelles en avaient appelé à la formation d'un forum national réunissant les différentes forces politiques du pays.


    JL : Après les tergiversations durant l'avancée rebelle entre l'Est et N'Djamena, selon vous, quand la décision d'intervenir a-t-elle été prise par Paris ?

    Aladin : Selon vous, la France a-t-elle d'abord envisagé de "lâcher" Déby avant de l'aider ?


    Jean-François Bayart : Encore une fois, je ne sais pas exactement quand le principe de cette intervention a été retenu, n'étant pas la petite souris sous le tapis présidentiel. Mais il semble qu'il y a eu une certaine précipitation sous la pression des événements, not! amment du fait de la défaite de Massaguet le 1er février. La France a même proposé à M. Déby d'organiser et de sécuriser son départ de N'Djamena. Apparemment le 2 février, ce qu'il a refusé pour combattre depuis son palais présidentiel.


    Jules : Voyez-vous pourquoi des troupes d'élite françaises auraient été mises en alerte pour partir au Tchad bien après la reprise de N'Djamena, le 5 ou le 6 février ?


    Jean-François Bayart : Parce que la situation militaire reste fragile. Et le président Déby n'a plus véritablement de réserves. On ne peut donc exclure une nouvelle offensive de la rébellion, même si vraisemblablement les avions français la cloueraient sur place, compte tenu du soutien sans faille qui a été prodigué et proclamé.

    Kal : L'armée tchadienne a, semble-t-il, été ravitaillée en munitions dès le 2 février au soir, pendant le cessez-le-feu négocié par Kadhafi... Par qui ?


    Jean-François Bayart : Je n'ai pas de réponse précise à cette information, mais Idriss Déby, les 2 et 3 février, a manqué de munitions, ce qui l'a mis dans une situation extrêmement périlleuse, outre le fait que son armée s'était débandée.
    Omar : La France a reconnu sa participation à l'acheminement des munitions, notamment libyennes. Est-ce aussi Paris qui a payé ces munitions ?


    Jean-François Bayart : Je ne sais pas. Cela semble possible mais n'est pas forcément nécessaire. Il semblerait que les munitions, ou en tout cas certaines livraisons d'armes, aient été prépositionnées dès le lundi 4 février à l'aube sur l'aéroport de Tripoli, avec une présence militaire au moins logistique française, dans l'attente du vote d'une résolution au Conseil de sécurité qui autoriserait cette livraison. Celle-ci ne serait survenue que dans le courant de la journée de lundi, à l'abri de ce vote du Conseil de sécurité des Nations unies, au sujet duquel il faut néanmoins souligner qu'il n'autorise pas le soutien militaire, contrairement à ce qu'espérait la France.


    MOSSEDET : Le texte de projet de résolution proposée par la France au Conseil de sécurité servait-il à! justifier a posteriori son intervention militaire pour sauver le président Déby ?


    Jean-François Bayart : Oui, incontestablement. Même si la France peut aussi se targuer du soutien formulé à l'endroit du président Déby par l'Union africaine. Mais il est clair que la France a cherché à faire légitimer son intervention par le Conseil de sécurité, et n'a obtenu qu'une demi-satisfaction sur ce plan.


    MOSSEDET : Peut on évoquer la légitimité pour soutenir Déby compte tenu des élections qualifiées par l'ONU d'issues d'un système non crédible ?


    Jean-François Bayart : La légitimité, en tout cas démocratique, du président Déby est une aimable fable. Depuis son arrivée au pouvoir par la force et avec le soutien militaire français en décembre 1990, le président Déby n'a jamais pu, ou vraisemblablement voulu, instaurer un système démocratique. Il a même fait adopter une révision de la Constitution en 2005 qui lui pe! rmettait de se présenter à nouveau aux élections présidentielles de 2006. Ces dernières ont été caractérisées par des fraudes massives et une abstention évidente en dépit des chiffres officiels de participation. La partie la plus peuplée du pays, le Sud, semble notamment complètement aliénée par rapport au système politique, dominé par les factions du Nord depuis les années 1980.


    La légitimité du président Déby, qu'ont réitérée l'Union africaine et bien sûr la France, est au mieux une légitimité de fait, celle que confère le contrôle de la capitale. Encore faut-il ajouter que le président Déby a perdu l'essentiel de ses soutiens, y compris factionnels et familiaux, depuis 2006. Le président Déby est aujourd'hui un homme seul, comme l'a prouvé la déroute de son armée à Massaguet le 1er février.


    Florent : Quels avantages tire la France de cet interventionnisme au plan politique, économique ?


    Jean-François Bayart : Au plan économique, aucun. La principale ressource du pays, le pétrole, est contrôlée par des compagnies étrangères, notamment américaines, et Total s'est retiré de toute activité pétrolière au Tchad, qu'elle avait héritée de la compagnie Elf. Cette dernière était elle-même très réticente à explorer et exploiter des champs pétrolifères dont la structure géologique ne lui paraissait pas favorable. Elle s'y était résolue à la suite des pressions du président Déby, et peut-être de l'armée française, qu'avait relayée le président Mitterrand auprès de son président, Loïc Le Floch-Prigent. L'intérêt économique du Tchad est nul pour la France.


    Sur le plan régional, il est vrai que la chute du président Déby serait gênante pour le président de la Républicaine centrafricaine voisine, [François] Bozizé, qui a pris le pouvoir avec le soutien du Tchad et de la France. Mais les motivations françaises sont plus diffuses et relèvent d'une espèce d'hallucination ! collective selon laquelle il faudrait que rien ne bouge en Afrique, et que la stabilité est une fin en soi. C'est cette hallucination qui déjà avait convaincu la France que le président Mobutu était le garant de la stabilité régionale et de l'unité du Zaïre. C'est elle qui fait s'interroger Paris sur l'absence d'alternative à Idriss Déby.


    Un autre argument avancé, tout aussi fantasmatique, est celui de l'arrivée de l'islamisme, et pourquoi pas d'Al-Qaida, à N'Djamena dans les fourgons de la rébellion. Il est vrai que cette dernière est plus ou moins directement soutenue par le Soudan, en mesure de rétorsion contre le soutien qu'Idriss Déby apporte à la rébellion du Darfour et contre les bombardements effectués en décembre à la frontière de celui-ci. Mais les rebelles qui ont menacé le pouvoir de Déby les 1er et 3 février sont des hommes politiques tchadiens qui sont issus de la faction, et même de la bande, de Déby lui-même. Ils n'ont strictement ri! en d'islamistes et sont de purs entrepreneurs politico-militaires tels que Déby lui-même ou que son prédécesseur, Hissène Habré.


    Jules : La France n'a-t-elle pas des intérêts financiers dans la protection des zones pétrolières du Sud ?


    Jean-François Bayart : Peut-être, mais tout à fait marginaux eu égard à l'ampleur de l'intervention militaire.


    Jules : Le fait que le Tchad soit un terrain d'entraînement pour les militaires français suffirait-il à expliquer ce soutien à Déby ?


    Jean-François Bayart : Peut-être pas à expliquer, mais ce facteur est important. Il est vrai que l'armée française, et notamment l'armée de l'air, trouve des conditions d'exercice et d'entraînement au Tchad, de même qu'à Djibouti, qu'elle ne peut plus avoir en France, pour des raisons de sécurité ou tout simplement parce que la population française n'en supporterait pas les nuisances. Intéressantes également pour l'a! rmée française sont les conditions climatiques qu'offre le Tchad pour certains exercices dans le contexte des interventions militaires, non seulement en Afrique, mais également dans le Golfe, auquel la France est désormais confrontée. Petit facteur qui ne doit pas être négligé : l'expatriation est lucrative pour les militaires français qui en bénéficient, sur un plan strictement financier.


    Kal : Que savez-vous d'un procès France-Tchad sur la non-dépollution des sites d'entraînement?


    Jean-François Bayart : Malheureusement, je n'ai pas d'information et ne peux vous répondre. Mais c'est certainement un vrai problème.

    Opa : Au Tchad, la France ne joue-t-elle pas une sorte de double jeu vis-à-vis de ses partenaires européens qui se sont engagés dans l'Eufor ? Elle ne peut pas être juge et partie au Tchad.


    Jean-François Bayart : C'est en effet l'un des nombreux problèmes de l'Eufor depuis so! n origine. Traditionnellement, les partenaires européens de la France soupçonnent celle-ci de vouloir les instrumentaliser au mieux de ses intérêts propres, et sous couvert de l'européanisation de sa politique africaine.


    Ce soupçon était particulièrement fort en ce qui concerne le Tchad, et il est clair que la manière dont la France s'est engagée militairement aux côtés du président Déby, son échec également à protéger l'opposition démocrate qui avait signé l'accord de consolidation démocratique d'août 2007 sous les auspices de l'Union européenne, ont pu confirmer les appréhensions des capitales européennes, même si ces dernières ont bon an mal an reconduit leur engagement dans l'Eufor, tout au moins pour celles d'entre elles qui s'y étaient résignées.


    Mais il est clair que le forcing français sur le Tchad a contribué à dégrader son image en Europe, et que cette approche aura un coût politique préoccupant à quelques mois de la présidence française de ! l'Union.


    La position de l'Allemagne est connue en ce qui concerne son engagement sur les terrains extérieurs. Mais le vrai problème de l'Eufor est son ambiguïté. Alors qu'elle est associée à un processus politique de réconciliation nationale en République centrafricaine quelle que soit l'ambivalence dudit processus politique, au Tchad, elle est désormais associée à un processus de guerre civile et de liquidation politique ou physique de l'opposition démocrate.


    Par ailleurs, on voit mal comment l'Eufor pourra éviter des confrontations armées dans un pays en guerre civile et dans une région où deux Etats se livrent des combats au moins indirects. L'Eufor va également être confrontée, à la frontière du Tchad et du Darfour, à des problèmes inextricables, et même inintelligibles pour des étrangers, de conflits de factions, d'appartenances ethniques, et plus encore, de droits fonciers ou agraires, de rivalités entre des pasteurs et des agriculteurs, t! ous facteurs qu'elle sera absolument incapable de démêler.


    Dernier point : l'engagement de troupes étrangères sur des théâtres d'opération en Afrique va les confronter à des dilemmes éthiques particulièrement redoutables. Par exemple, dans la société zaghawa, on peut porter des armes à partir de 13 ans, âge de la puberté auquel on est considéré adulte. Est-il acceptable pour un soldat de l'Union européenne de faire usage de ses armes contre un adolescent, même si celui-ci le menace ou est engagé dans des combats ? C'est cette crainte qui taraudait déjà les militaires européens lorsqu'ils ont été engagés dans l'opération Artemis en Ituri.


    Modo : Dans ce contexte, est-il possible, comme l'affirme le commandement de l'Eufor, de ne pas utiliser l'expertise des forces Epervier, qui connaissent bien le terrain ?


    Jean-François Bayart : Les forces "Epervier" connaissent surtout le ciel. Mais effectivement, d'une manière o! u d'une autre, j'imagine que le dispositif Epervier sera sollicité pour fournir du renseignement, voire, si les choses tournent mal, pour sécuriser le dispositif. Nous retrouvons là la très grande ambiguïté de l'articulation entre le déploiement multilatéral de l'Eufor et l'engagement militaire bilatéral franco-tchadien.


    claire_bressan : Quel rôle joue le ministre des affaires étrangères, M. Kouchner, dans cette approche du conflit tchadien ?


    Jean-François Bayart : Un rôle diplomatiquement et médiatiquement assez considérable, puisque celui-ci avait contribué à faire du Darfour l'une des priorités de la diplomatie française et que le président Sarkozy a cantonné l'essentiel de son périmètre d'action à ce problème, ainsi qu'à celui du Liban, non d'ailleurs sans le court-circuiter constamment sur l'un et l'autre de ces deux dossiers. M. Kouchner, de ce fait, est dans une position embarrassante. On a vu comment, au Liban, Claude Gu! éant, secrétaire général de l'Elysée, a interféré avec sa démarche en nouant, sans succès d'ailleurs, des négociations avec la Syrie, qui se sont soldées par un véritable camouflet diplomatique pour la France.


    De la même manière, au Tchad, M. Kouchner doit assumer un soutien militaire consenti à Déby sans qu'il ait été véritablement associé à ce processus de décision, à charge pour lui d'absorber le coût diplomatique et politique de la liquidation de l'opposition démocrate. Le point essentiel est que M. Kouchner a contribué, comme je le disais, à faire du Darfour un axe prioritaire de la politique étrangère de la France. Or ce choix est contestable.


    Au moment de l'élection présidentielle, Hubert Védrine, avec ce brin de cynisme qui le caractérise, disait clairement que le Darfour n'était pas une priorité pour la France. De fait, on peut se demander si notre pays, et même l'ensemble des pays européens ont la moindre chance de peser de manière significa! tive sur cette crise complexe et d'aider à sa résolution. La politique est l'art du possible, M. Kouchner n'en a peut-être pas suffisamment conscience. Par ailleurs, il a donné à la question humanitaire une importance politique démesurée, dont l'affaire de L'Arche de Zoé a démontré qu'elle pouvait ouvrir la voie à des imprudences, voire des scandales, et en tout cas, à un certain mélange des genres.


    Vienne : Comment les Tchadiens réagissent-ils à cette intervention de la France après l'affaire de L'Arche de Zoé ? Qu'en est-il d'un sentiment antifrançais ?


    Jean-François Bayart : Il est difficile aujourd'hui de recueillir l'opinion des Tchadiens dans un pays ravagé par la pauvreté et la guerre, et dans une capitale placée sous état de siège. L'affaire de L'Arche de Zoé a soulevé une immense indignation, même si celle-ci a pu être instrumentalisée et mise en scène par le président Déby, trop heureux de piéger Nicolas Sarkozy à bon! compte et de lui faire payer au prix fort le monnayage des inculpés français.


    Ce qu'il faut bien nommer le vol d'enfants renvoie à la sinistre mémoire de la traite esclavagiste, qui a été particulièrement brutale et prédatrice dans cette région du monde au XIXe siècle. Par ailleurs, le mépris affiché à l'encontre de la justice tchadienne par le président de la République a profondément choqué, alors même que l'effet désastreux produit par son discours de Dakar n'était pas encore dissipé. Il faut voir aussi que la population tchadienne, sans illusions sur la vertu de la rébellion, n'en peut néanmoins désormais plus du régime d'Idriss Déby, et aurait sans doute accueilli avec un soulagement désabusé son renversement. De ce point de vue, je doute que la France ait répondu aux attentes des Tchadiens et qu'elle en tire beaucoup de popularité.


    Marion : Comment expliquez-vous que le président Sarkozy se soit autant impliqué pour des perso! nnes dont tout laisse présumer leur culpabilité ?


    Jean-François Bayart : Tout n'est pas clair dans cette affaire de L'Arche de Zoé, notamment si, comme on l'a dit, ses responsables se sont targués du soutien de l'Elysée, du fait peut-être des relations professionnelles que certains d'entre eux entretenaient avec le frère du président de la République.

    Mais je pense que, plus directement, le "tout à l'humanitaire" de Kouchner a contribué à piéger la France, même si les diplomates du Quai d'Orsay avaient mis en garde L'Arche de Zoé contre les infractions à la loi qu'elle s'apprêtait à commettre. Je crois que ce qui a prévalu chez Nicolas Sarkozy est sa détermination à apparaître comme le sauveur des Français, même lorsque ceux-ci sont impliqués dans des affaires délictueuses ou criminelles.


    Je pense aussi que sa méconnaissance assez abyssale du système international lui a fait confondre des infirmières bulgares prises en otage de m! anière inique par le régime Kadhafi et des criminels humanitaires français non moins pris en otage par le président Déby, mais en étant coupables de faits gravissimes. Il y a un côté "Zorro est arrivé" chez Nicolas Sarkozy qui l'a rendu très vulnérable au redoutable cynisme manipulateur du président Déby. Ce qui, in fine, si l'on résume de manière cruelle la situation, lui a fait échanger six criminels français contre trois ou quatre leaders de l'opposition démocratique tchadienne, sans compter leurs militants impitoyablement réprimés en dehors du regard des médias.


    Sylvie D. : Comment les autorités françaises ont-elles réagi à la parution de votre tribune virulente dans Le Monde le 13 février ?


    Jean-François Bayart : Je pense que cette tribune a suscité une certaine émot! ion. Ce qui me frappe, c'est d'une part le nombre d'e-mails que j'ai reçus d'approbation ou d'encouragement, saluant d'ailleurs simultanément la liberté de la presse en France, et en l'occurrence celle du Monde, et d'autre part, la déconnexion des autorités françaises par rapport à ce sentiment qu'a révélé de manière contingente la publication de mon article.


    Je crains que nos dirigeants ne se rendent pas compte de l'écurement et de l'émotion qu'ont suscités chez nos compatriotes, et bien sûr aussi en Afrique, le discours de Dakar, les propos du président à l'encontre de la justice tchadienne et l'accueil fastueux réservé à Kadhafi au mois de décembre.
    Le Monde.fr
    Chat modéré par François Béguin

     


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